Arnaques en ligne : le Maroc contre-attaque dans la guerre numérique

La digitalisation accélérée du Royaume a ouvert la porte à un nouvel ennemi : la cybercriminalité. Le Maroc riposte avec une stratégie nationale renforcée.

Depuis plus d’une décennie, le Maroc avance à grands pas vers sa transformation numérique. Sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, plusieurs initiatives majeures, telles que Maroc Numeric 2013 et Maroc Digital 2020, ont été lancées pour inscrire le pays dans l’ère du numérique. Cette modernisation ambitieuse vise à améliorer l’accès aux services publics, stimuler l’économie et promouvoir l’inclusion sociale. Toutefois, cette ouverture technologique s’accompagne de nouvelles menaces, d’autant plus redoutables qu’elles évoluent vite : les arnaques numériques prolifèrent, exploitant les failles du système et la méconnaissance d’une partie des citoyens. Pour faire face à cette vague de cyber-malveillance, le gouvernement marocain a annoncé le 15 mai 2025 la création d’une cellule nationale de cybersécurité, une mesure attendue et symbolique d’un changement de cap : celui du passage à l’offensive.

Si la digitalisation a permis d’accroître l’efficience de l’administration, de faciliter les démarches pour les citoyens et de renforcer les infrastructures numériques, elle a aussi élargi la surface d’attaque des cybercriminels. Faux jeux-concours sur Instagram, liens de phishing diffusés via WhatsApp, escroqueries à l’investissement sur TikTok : les méthodes de fraude se sont sophistiquées et ciblent particulièrement les jeunes, très présents sur ces plateformes. En 2023, plus de 2 400 plaintes ont été enregistrées au Maroc pour des escroqueries numériques, dont une large part concerne le commerce en ligne. Ce chiffre, en constante augmentation, traduit un phénomène devenu endémique, dopé par la massification de l’usage des smartphones et la viralité des réseaux sociaux.

« Plus de 2 400 plaintes pour fraudes numériques ont été enregistrées en 2023, signe d’une menace devenue systémique. »

Le 15 mai 2025, à l’issue du Conseil de gouvernement, a été officialisé la création d’une cellule nationale de cybersécurité, avec pour mission de lutter spécifiquement contre les arnaques en ligne. Placée sous la double autorité de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) et du Centre national de veille contre la cybercriminalité (CNVC), cette cellule s’inscrit dans le cadre plus large de la stratégie nationale de cybersécurité réactualisée à l’horizon 2030. Elle représente un virage stratégique : celui de la réponse coordonnée et proactive.

Cette cellule aura plusieurs objectifs clairs. Elle visera d’abord à identifier et démanteler les réseaux de fraudeurs, en analysant les serveurs et les comptes utilisés pour diffuser des arnaques numériques. Grâce à une coopération renforcée avec les grandes plateformes – notamment Meta (maison mère de Facebook et Instagram), TikTok et les services de messagerie comme WhatsApp – elle pourra obtenir des blocages rapides et le retrait immédiat de contenus malveillants. L’accent sera également mis sur la prévention, à travers des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les universités, afin d’enseigner aux jeunes les bons réflexes face aux tentatives de fraude : vérifier l’identité des émetteurs, signaler les messages suspects, refuser les promesses trop belles pour être vraies.

Mais la stratégie marocaine ne se limite pas à la lutte opérationnelle. Elle repose aussi sur une vision à long terme : créer un climat de confiance numérique pour accompagner le développement économique du pays. Car la cybersécurité n’est pas qu’une question technique. Elle est aussi un enjeu de souveraineté, de compétitivité et de justice sociale. Une société qui doute de la fiabilité de ses systèmes numériques est une société qui freine son propre progrès. Le Royaume l’a bien compris et cherche désormais à s’attaquer à la racine du problème.

Cette mobilisation s’inscrit dans la continuité des efforts entrepris depuis plusieurs années. Dès 2015, la création de la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI), relevant de l’administration de la Défense nationale, avait marqué une première étape. Elle avait été suivie par un renforcement des missions de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP). Désormais, il ne s’agit plus seulement de surveiller ou de réguler, mais d’intervenir en temps réel pour protéger les citoyens.

« Une cellule spécialisée placée sous la DGSN et le CNVC pour neutraliser les arnaques sur WhatsApp, Instagram et TikTok : une première au Maroc. »

Un volet essentiel de cette nouvelle politique réside dans l’adaptation du cadre législatif. La cellule de cybersécurité aura pour mission de proposer des réformes afin de durcir les sanctions à l’encontre des cyber-escrocs et de faciliter la coopération judiciaire, notamment au niveau international. Car la cybercriminalité dépasse les frontières. Les auteurs d’arnaques opérant depuis l’étranger doivent pouvoir être poursuivis efficacement grâce à des accords de coopération et à l’harmonisation des procédures.

Autre levier majeur : l’intelligence artificielle. Le gouvernement ambitionne de doter la cellule de cybersécurité d’outils avancés basés sur l’IA pour détecter automatiquement les comportements frauduleux, analyser les messages suspects et anticiper les nouveaux modes opératoires. Cette technologie, couplée aux efforts humains de veille et d’enquête, permettra de passer à une logique prédictive, plutôt que seulement réactive.

Les opérateurs télécoms et les établissements bancaires sont également appelés à jouer un rôle central dans cette architecture de défense. En croisant les signaux faibles – comme les numéros de téléphone usurpés ou les virements inhabituels – ils pourront contribuer à alerter les autorités et les victimes potentielles. Une coopération renforcée entre public et privé est l’une des clés du succès de cette stratégie.

Le défi est immense, mais le Maroc ne part pas de zéro. Il dispose désormais d’un cadre stratégique clair, d’acteurs mobilisés, et d’une volonté politique affirmée. Cette synergie entre institutions, secteur privé et citoyens peut faire la différence. Le chantier est aussi éducatif : apprendre à reconnaître une arnaque, à sécuriser ses données, à faire confiance aux bons canaux, devient un apprentissage essentiel dès le plus jeune âge.

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Alors que les données personnelles de milliers de Marocains ont été récemment retrouvées sur le Dark Web, selon une alerte de ZATAZ début 2025, l’urgence d’une riposte efficace ne fait plus débat. Ces fuites montrent que la cybercriminalité ne se limite pas aux escroqueries de petite échelle. Elle vise désormais les systèmes d’information sensibles, les institutions financières et les données médicales ou fiscales. Autant de cibles dont la compromission pourrait mettre en péril non seulement la vie privée, mais aussi la stabilité économique et sociale du pays.

L’objectif est clair : instaurer un environnement numérique de confiance, où les opportunités de la digitalisation ne soient plus entravées par la peur ou la méfiance. Cela passe par une vision globale, un cadre réglementaire adapté, des investissements dans les technologies de pointe et surtout, un engagement collectif.

Le Maroc entend désormais jouer sa place dans la construction d’un cyberespace sûr et stable, à l’échelle régionale et internationale. Car la cybersécurité ne s’arrête pas aux frontières. Elle est le fondement d’un numérique durable, éthique et inclusif.

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Au sujet de l'auteur
Damien Bancal (damienbancal.fr) est un expert internationalement reconnu en cybersécurité. Il a fondé le projet Zataz en 1989. Il s'est imposé comme une figure majeure dans ce domaine, contribuant à la sensibilisation et à la protection des internautes contre les cyberattaques. ZATAZ.COM est devenu une référence incontournable en matière d'information sur la sécurité informatique et les cybermenaces pour le grand public. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages (17) et articles (plusieurs centaines : 01net, Le Monde, France Info, Etc.) qui explorent les divers aspects du piratage informatique et de la protection des données. Il a remporté le prix spécial du livre du FIC/InCyber 2022. Finaliste 2023 du 1er CTF Social Engineering Nord Américain. Vainqueur du CTF Social Engineering 2024 du HackFest 2024 (Canada). Damien Bancal a également été largement reconnu par la presse internationale dont le New York Times, qui souligne non seulement son expertise mais aussi son parcours inspirant. Enfin, il figure parmi les personnalités les plus influentes dans la cybersécurité, comme le souligne Le Big Data, et a été classé parmi les 500 personnalités tech les plus influentes en 2023 selon Tyto PR. 9ème influenceur Cyber d'Europe. Chroniqueur TV et Radio (France Info, M6, RTL, Medi1, Etc.) Réserviste de la Gendarmerie Nationale (Unité Nationale Cyber - réserve volontaire citoyenne) et de l'Éducation Nationale Hauts-de-France. Médaillé de la Défense Nationale (Marine Nationale) et de la médaille des réservistes volontaires de défense et de sécurité intérieure. (Gendarmerie Nationale). Entrepreneur, il a lancé en 2022 la société veillezataz.com.