Moins de 15 ans sur les réseaux, et les parents dans tout ça ?
Interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans est une réponse politique. Mais le vrai problème reste souvent ignoré : le rôle et la démission silencieuse des parents face aux écrans.
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Cela fait plus de trente ans que je rencontre des adolescents et préadolescents partout en France. Ateliers, conférences, interventions dans les collèges, les lycées, parfois même les écoles primaires, où je parle aussi bien aux élèves qu’aux parents. Des dizaines de milliers de jeunes croisés. Et toujours cette même question, qui revient avec insistance dans les médias et les débats publics : faut-il interdire les réseaux sociaux avant 15 ans ? Posée ainsi, la question semble légitime. Pourtant, elle esquive l’essentiel. Car avant de parler d’interdiction, il faudrait parler d’éducation. Combien de jeunes enfants — cinq ou six ans, parfois moins — ont entre les mains un téléphone, une tablette ou une console, laissés en toute autonomie devant un contenu dont personne ne surveille le sens ni les effets ? Cette facilité numérique, souvent choisie pour gagner un peu de tranquillité à la maison, a un prix. Et ce prix, c’est la perte de repères, la perte de limites, et souvent une exposition massive, incontrôlée, aux pires contenus. Alors, interdire les réseaux ? Peut-être. Mais ce ne sera jamais suffisant tant que la responsabilité éducative des adultes reste mise entre parenthèses. A lire, le rapport de l’OMS sur l’usage problématique des réseaux sociaux (septembre 2024).
Les réseaux comme symptôme, pas comme origine
Quand je vais dans un établissement scolaire, une phrase revient souvent dans les discussions : « je veux devenir youtubeur », ou « moi je vais faire des millions sur TikTok ». On y croit dur comme fer. Les yeux brillent. Ce n’est pas une exagération : pour beaucoup d’enfants, la célébrité numérique est aujourd’hui un objectif de vie. Pas un rêve lointain, non, une trajectoire envisagée, planifiée, avec des références concrètes — un influenceur qui explose des voitures, un autre qui achète « des produits interdits », une influenceuse qui parade avec un sac de luxe au bord d’un tapis rouge.
Ces enfants ne sortent pas ça de nulle part. Ils le voient. Ils le consomment. Ils le prennent pour modèle. Ce n’est pas la faute des algorithmes seuls, ni des plateformes seules. C’est un écosystème complet où la course au clic, à la minute de visionnage, et à la visibilité sans contenu, pousse les plus jeunes à se façonner sur des images qui n’ont plus rien à voir avec la réalité.
Le fond, dans tout ça ? Quel fond ? Ces contenus ne sont pas construits pour apprendre, comprendre, douter ou réfléchir. Ils sont conçus pour captiver. Ils manipulent l’attention comme une matière première. Et les jeunes y plongent parce que personne ne les en protège. Ou parce qu’on leur laisse croire que c’est l’avenir.
Des enfants de cinq ou six ans, seuls avec un smartphone, découvrent les réseaux sociaux avant même d’entrer à l’école élémentaire. Qui les y a conduits ?
Une réponse politique face à une urgence sociale
La volonté du gouvernement français d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans n’est pas nouvelle. Elle s’accélère depuis 2023. La loi du 7 juillet 2023 établit une majorité numérique à 15 ans, impose des outils de contrôle parental, prévoit des sanctions pour les plateformes qui ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs. Depuis mai 2025, Clara Chappaz, ministre déléguée au numérique, appelle à imposer techniquement la vérification de l’âge, faute de quoi la France pourrait légiférer seule, sans attendre l’Europe. Emmanuel Macron soutient cette position, et souhaite aussi interdire l’usage du smartphone avant 11 ans.
Des mesures concrètes. Mais dans les faits, rien n’empêche aujourd’hui un enfant de créer un faux profil. Rien n’oblige un parent à vérifier ce que fait son fils ou sa fille en ligne. Et trop souvent, personne ne le fait.
Une loi existe, mais les enfants contournent les règles sans difficulté. En moyenne, ils s’inscrivent sur les réseaux dès l’âge de 8 ans et demi (source : CNIL, 2021).
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Une société entière sous influence
Ce que je vois sur le terrain, ce n’est pas seulement une démission parentale. C’est une banalisation globale. Exemple chiffré, sur 750 parents intérrogé (et qui ont répondu) en 2024, seulement 12 connaissaient la page « Parents » de Snapchat. Un mode d’emploi pour les parents et les adolescents. Il y a vingt ans, un élève qui disait « je veux devenir célèbre sur Internet » faisait sourire. Aujourd’hui, il n’est plus seul. Il est suivi, liké, parfois même encouragé par des adultes — parents, professeurs, animateurs — qui eux aussi utilisent TikTok, Instagram ou YouTube, et y trouvent parfois un prolongement de leur propre image.
Autrement dit, le problème n’est pas seulement que les enfants soient sur les réseaux, c’est qu’ils y soient seuls. Et qu’ils y retrouvent une société qui valorise l’image, le spectacle, la provocation ou la consommation rapide. Le numérique n’a pas inventé cette dynamique. Il l’a simplement accélérée, démultipliée, globalisée.
Certaines plateformes, comme TikTok, ont annoncé bloquer certains contenus pour les mineurs — comme les « filtres beauté », qui contribuent à la déformation de l’image de soi. C’est un début. Mais c’est aussi un écran de fumée. L’algorithme reste intact. La captation de l’attention aussi. L’exposition à la violence, au harcèlement, à la pornographie n’a pas disparu.

Certaines vidéos montrent des produits interdits. De quoi motiver les plus jeunes à jouer avec l’interdit.
Dans d’autres pays, une fermeté croissante
La France n’est pas seule. L’Australie a interdit les réseaux sociaux aux moins de 16 ans depuis novembre 2023. La Chine restreint sévèrement leur usage : moins de 40 minutes par jour pour les moins de 14 ans sur Douyin, accès soumis à pièce d’identité. En Espagne, un projet de loi en attente prévoit aussi l’interdiction aux moins de 16 ans. Aux États-Unis, la Floride a voté en mars 2024 une loi interdisant les réseaux avant 14 ans, sous peine d’amendes. En Norvège, une proposition veut porter l’âge de l’usage libre des réseaux à 15 ans. Même en Allemagne et en Italie, l’accès est soumis à l’autorisation des parents jusqu’à 16 ans.
Mais toutes ces législations rencontrent les mêmes limites : la mise en œuvre. Les plateformes ne coopèrent pas facilement. Les systèmes d’identification sont contournables. Et aucune mesure ne peut remplacer la vigilance humaine.
L’éducation, ou le vide
Quand j’échange avec les parents, dans les écoles, la réaction est parfois désarmée. Certains ne savent même pas ce que font leurs enfants sur leurs écrans. D’autres baissent les bras : « il a dix ans, mais il est déjà plus fort que moi avec le téléphone ». D’autres encore trouvent pratique que leur enfant reste « sage » pendant qu’il regarde YouTube pendant trois heures. Qui leur dit que ça pose un problème ? Qui les accompagne pour poser un cadre, des horaires, des règles ?
Le numérique a fait irruption dans la vie familiale comme un intrus qu’on laisse s’installer dans le salon sans lui poser de questions. Et il s’est imposé comme norme, sans que beaucoup d’adultes ne se demandent ce qu’il détruisait au passage : le lien, le dialogue, l’autorité, la curiosité réelle.
Des solutions ? Peut-être. Mais surtout, une prise de conscience.
Oui, il faut des lois. Oui, il faut des limites. Mais elles seront vaines si elles ne s’accompagnent pas d’un sursaut collectif. Ce n’est pas seulement l’État qui doit poser des barrières, c’est chaque adulte, chaque famille, chaque éducateur. On peut imposer la vérification d’âge, interdire les filtres, interdire les réseaux sociaux… mais rien n’empêchera un enfant d’aller chercher ailleurs ce qu’il ne trouve plus autour de lui : un regard, une parole, une attention.
Ce qu’on appelle « réseaux sociaux » n’est qu’un miroir. Il renvoie ce que notre société y projette. Et si tant d’enfants s’y noient, c’est peut-être qu’ils n’ont pas appris à nager avant d’y plonger.
Bloquer, c’est possible ?
Oui, il est techniquement possible de bloquer l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans, mais la mise en œuvre est complexe, très souvent contournable, et dépend de plusieurs conditions. Voici ce que disent les faits, à date de l’article de ZATAZ. Ce qui est techniquement faisable, la vérification d’âge obligatoire. La loi française du 7 juillet 2023 impose aux plateformes (TikTok, Snapchat, Instagram, etc.) de vérifier l’âge réel des utilisateurs lors de la création d’un compte. En théorie, cela empêche les moins de 15 ans de s’inscrire sans autorisation parentale. En théorie. Le consentement parental obligatoire avant 15 ans. Les réseaux sociaux doivent obtenir le consentement d’au moins un parent pour autoriser l’inscription d’un mineur. Comme dirait ma grand-mère : lol ! Mise en place d’un système de vérification conforme à un référentiel. Là, on commence à entrer dans le dur, dans le questionnement sur la vie privée. Ce système est en cours d’élaboration par l’ARCOM, en lien avec la CNIL, pour garantir une solution conforme aux standards de protection des données. Des outils apparaissent, il suffit de regarder la course à l’échalotte lors d’une validation d’identité : entre les impôts ; la poste ; France Connect ; Pro Connect ; France Identité ; Etc. Des contrôles et des sanctions existent, mais autant dire que les avocats des réseaux sociaux, et ils sont nombreux, sont aux taquets. Toujours est-il qu’en cas de non-respect, une plateforme peut se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 1 % de son chiffre d’affaires mondial.
Pourquoi c’est facilement contournable aujourd’hui ?
Déclaration d’un faux âge. Sur 1 000 élèves interviewés lors d’ateliers, cours, Etc. en 2025, 92% ont menti sur leur âge à l’ouverture d’un compte sur les réseaux sociaux. Il est très simple de mentir sur sa date de naissance à l’inscription. Aucune plateforme ne vérifie automatiquement la réalité de l’âge à ce jour. Absence d’identification obligatoire en France. Contrairement à la Chine (où une pièce d’identité ou un numéro de téléphone lié à un nom réel est exigé), aucun document officiel n’est requis pour ouvrir un compte en France. Aucune solution de vérification d’âge n’est encore en place ni imposée techniquement par l’État. Les opérateurs de sites pour adultes ont dernièrement « manifesté » à l’arrivée d’obligation de contrôle. Que faire des comptes déjà existants ? La loi prévoit que les comptes déjà créés par des enfants, avant 2023, doivent être régularisés dans les deux ans… mais cette obligation n’est pas vraiment contrôlée. Je ne parle même pas des VPN qui peuvent permettre de se faire passer pour un Québécois ou Grec et passer outre la géolocalisation numérique. Je ne vous parle même pas des comptes qui se revendent dans le dark web. Des comptes neufs, validés, vendus quelques euros.
Exemples de solutions en test ou déjà en place ailleurs
En Australie, interdiction totale pour les – de 16 ans, avec obligation pour les plateformes de bloquer l’accès. Mais les modalités techniques restent floues. En Chine, identification obligatoire via pièce d’identité, limitation de temps de connexion, filtrage automatique. En Espagne, le projet de système national d’identification numérique en cours de test pour éviter les contournements. En Floride (USA), une amende de 50 000 dollars si les réseaux laissent des enfants de -14 ans s’inscrire.
La biométrie (contrôle du visage) pour les réseaux sociaux ? Mais les réseaux sociaux, c’est aussi les tchats (textuels et vidéos) dans les jeux vidéo. ProNote ? Le passé « pirate » de données ProNote/ENT volées laissent un goût amère à certains parents [Écouter].
Bref, oui, bloquer les réseaux sociaux aux moins de 15 ans est possible juridiquement. Oui, des solutions techniques existent ou sont en cours de développement. Mais aujourd’hui, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, le blocage est encore largement contournable via le manque de vérification d’identité, de coopération réelle des plateformes, un VPN et de la faible culture numérique parentale. « Big Brother is watching you » est-il le salut de nos enfants ? Si quelqu’un a la réponse, qu’il n’hésite pas à la proposer en commentaire. Moi, je ne l’ai pas.
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Bonjour Zataz,
Je vais partager votre article car quasiment tout est dit.
La/les solutions ?
Je vais d’abord citer 2 phrases dont vous retrouverez les auteurs.
Chaque génération d’enfants est une invasion barbare à civiliser et éduquer.
Il faut tout un village pour éduquer un enfants.
Nous sommes la solution ! Et la moindre faiblesse collective est une faille de sécurité.
Ma question ultime :
Le village est-il prêt ? En a-t-il seulement envie ?
J’en débats presque quotidiennement tellement le sujet est vaste et important. J’ai 2 enfants. Avec sa mère non avons été intraitables. Ça a été très difficile de nager à contre courant. Pourtant nous sommes soulagés des fruits de ce combat car c’est un combat.
Merci d’avoir traité le sujet.
Christophe