Triche dans les jeux vidéo : la guerre invisible entre hackers et développeurs

Dans l’ombre des parties en ligne, une guerre féroce se joue entre tricheurs et développeurs déterminés à protéger l’intégrité du jeu.

Alors que les jeux compétitifs en ligne deviennent des plateformes professionnelles à part entière, la triche n’est plus un simple passe-temps de bidouilleur, mais une industrie parallèle, opaque et lucrative. Avant, on appelait ça « lancer un trainer« , rajouter de la vie, de l’énergie, Etc. Aujourd’hui, tricher est devenu un business. Derrière les écrans, développeurs de cheats et équipes de cybersécurité se livrent une bataille de haut vol. Parmi les combats dont la majorité des gamers ne soupçonne même pas l’existence, celui mené par Riot Games avec son système anti-triche Vanguard. L’éditeur mène une croisade technologique et psychologique sans précédent pour bannir les tricheurs de Valorant. Une lutte qui soulève autant de questions sur la sécurité des joueurs que sur les limites éthiques de la surveillance numérique.

Une industrie souterraine devenue ultra-professionnelle

À l’origine, tricher dans un jeu vidéo était souvent perçu comme un acte isolé, parfois même innocent : un moyen pour un joueur de modifier son expérience ou d’explorer les limites d’un système. Mais avec l’essor de l’e-sport, de la compétition en ligne et des enjeux financiers qu’ils impliquent, la triche a pris une toute autre dimension [voir une vidéo d’un vendeur de cheat]. Aujourd’hui, des développeurs vendent des logiciels hautement sophistiqués capables de donner aux joueurs un avantage décisif — et injuste — contre leurs adversaires. Il ne s’agit plus de simples astuces partagées entre passionnés, mais de produits premium facturés parfois plusieurs milliers d’euros.

Les développeurs de jeux, de leur côté, ont été contraints de faire évoluer leurs dispositifs anti-triche. Certaines entreprises, à l’instar de Riot Games, ont opté pour une méthode radicale : l’installation de logiciels anti-triche au niveau du noyau du système d’exploitation. Cette approche, qui donne un accès quasi illimité au fonctionnement de l’ordinateur d’un joueur, est aussi puissante qu’invasive.

Le système Vanguard de Riot Games a permis de ramener à moins de 1 % le taux de triche dans les parties compétitives de Valorant à l’échelle mondiale.

Vanguard : la sentinelle numérique de Riot

Le logiciel Vanguard illustre bien cette nouvelle génération d’outils anti-triche. Développé par Riot Games, il est conçu pour fonctionner dès le démarrage de l’ordinateur, en exploitant des technologies de sécurité comme le Trusted Platform Module (TPM) ou Secure Boot. Son objectif : s’assurer que la machine n’a pas été compromise ou altérée avant même que le jeu ne soit lancé. Vanguard va jusqu’à analyser les pilotes matériels et empêche l’exécution de tout code suspect dans le noyau du système.

Pour Phillip Koskinas, directeur de l’anti-triche chez Riot, cette approche est nécessaire. Il compare, dans Levvvel, la lutte contre la triche à un « terrain de jeu » où les règles de sécurité doivent être respectées pour que la partie puisse avoir lieu. Mais au-delà de la technologie, Koskinas et son équipe ont mis en place une stratégie plus large, intégrant la psychologie, l’infiltration et même une certaine forme de manipulation sociale.

La guerre de l’ombre : infiltration et discrédit

Riot ne se contente pas de surveiller les ordinateurs : l’entreprise infiltre activement les communautés de tricheurs. En créant de fausses identités, ses agents peuvent accéder aux projets de développement de cheats, fournir de fausses informations anti-triche pour gagner la confiance des hackers, et saboter les logiciels de l’intérieur. L’équipe anti-triche n’hésite pas à attendre qu’un cheat gagne en popularité avant de bannir tous ses utilisateurs d’un coup, infligeant ainsi un revers spectaculaire au développeur.

Mais l’arme la plus redoutée de Riot est peut-être celle du discrédit public. En exposant les tricheurs ou en diffusant des preuves de leur implication sur leurs forums ou leurs canaux Discord, l’équipe de Koskinas sape leur crédibilité et ruine leur réputation. Certains tricheurs sont ainsi tournés en ridicule, qualifiés de « pathogènes sans cervelle » par Koskinas lui-même. Derrière cette terminologie provocante se cache une volonté assumée de démoraliser les fraudeurs.

Riot infiltre les communautés de tricheurs pour saboter les cheats de l’intérieur, allant jusqu’à créer de faux profils d’experts en rétro-ingénierie.

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Le cheat premium : luxe, discrétion et dangerosité

Face à cette pression croissante, les développeurs de cheats ont changé de stratégie. Ils privilégient désormais une clientèle réduite, triée sur le volet, à qui ils vendent des outils « premium » plus difficiles à détecter. Ces cheats utilisent des techniques matérielles complexes, comme les attaques DMA (Direct Memory Access), qui consistent à extraire en temps réel la mémoire du jeu vers un autre ordinateur, à l’aide d’une carte PCIe modifiée. Le second ordinateur analyse alors l’environnement de jeu et affiche un radar ou une superposition visuelle directement sur l’écran du joueur, lui permettant de voir à travers les murs ou d’identifier les adversaires instantanément.

Dans certains cas, une unité de fusion HDMI permet même d’afficher ces informations directement sur l’écran principal, sans qu’un second écran ne soit nécessaire. Ces méthodes repoussent les limites de la triche vers une sophistication extrême, rendant leur détection d’autant plus complexe. Pourtant, Riot affirme en intercepter une grande partie.

Un autre type de triche externe s’appuie sur la reconnaissance visuelle : un second ordinateur lit le signal HDMI du jeu, détecte des éléments comme les têtes ennemies, et transmet des commandes à un micro-ordinateur Arduino qui contrôle mécaniquement la souris du joueur. Ce système d’« aimbot robotisé » confère une précision surhumaine, tout en contournant les protections logicielles classiques.

L’intelligence artificielle à l’horizon

À court terme, Koskinas s’inquiète de l’utilisation croissante de l’IA pour simuler des comportements humains. Selon lui, il est déjà possible de concevoir un cheat basé sur un simple algorithme de détection de couleur, capable de reconnaître les contours lumineux propres aux personnages de Valorant. À terme, les cheats pilotés par IA pourraient devenir presque indétectables, car capables d’imiter avec une précision troublante les gestes d’un joueur humain.

Face à cette menace, Vanguard devra évoluer encore, en affinant ses outils d’analyse comportementale. Car, malgré les systèmes actuels, un tricheur performant reste difficile à identifier tant que ses actions ne s’écartent pas radicalement de la norme humaine. Pour Koskinas, l’objectif ultime est d’atteindre un point où la triche ne procure plus suffisamment d’avantage pour être viable.

Une transparence sous conditions

L’approche radicale de Riot, comme l’explique TechCrunch, ne va pas sans critiques. L’accès au noyau du système d’exploitation pose des questions évidentes de sécurité et de respect de la vie privée. Koskinas en est conscient, et c’est pour cela qu’il insiste sur une certaine transparence. Riot publie régulièrement des billets de blog pour expliquer ses méthodes et répond volontiers aux interviews. Mais cette transparence a ses limites : la société ne peut évidemment pas révéler tous ses secrets, au risque de donner des armes aux tricheurs.

Koskinas résume cette philosophie avec une formule saisissante : « Nous ne vous dirons pas ce qu’il y a sous le capot, mais nous vous dirons presque tout le reste. » C’est un équilibre précaire, entre le besoin de sécurité absolue et le respect du droit à la confidentialité des joueurs. Un dilemme que peu d’entreprises savent gérer avec autant de fermeté et de subtilité que Riot Games.

Un combat sans fin ?

Malgré ses victoires, Riot sait que la lutte contre la triche n’est jamais vraiment gagnée. Les tricheurs s’adaptent, innovent, se regroupent. Et à mesure que la technologie progresse, les moyens de tricher deviennent plus sophistiqués, plus furtifs, plus difficiles à enrayer. De l’autre côté, les équipes anti-triche aussi deviennent plus inventives, mêlant ingénierie, psychologie et contre-espionnage.

La guerre que se livrent les tricheurs et les développeurs de jeux est une course sans ligne d’arrivée, une partie d’échecs perpétuelle où chaque coup appelle une riposte. Dans ce champ de bataille virtuel, une seule certitude demeure : tant qu’il y aura des jeux, il y aura des tricheurs… et des artisans pour les en bannir.

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Au sujet de l'auteur
Damien Bancal (damienbancal.fr) est un expert internationalement reconnu en cybersécurité. Il a fondé le projet Zataz en 1989. Il s'est imposé comme une figure majeure dans ce domaine, contribuant à la sensibilisation et à la protection des internautes contre les cyberattaques. ZATAZ.COM est devenu une référence incontournable en matière d'information sur la sécurité informatique et les cybermenaces pour le grand public. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages (17) et articles (plusieurs centaines : 01net, Le Monde, France Info, Etc.) qui explorent les divers aspects du piratage informatique et de la protection des données. Il a remporté le prix spécial du livre du FIC/InCyber 2022. Finaliste 2023 du 1er CTF Social Engineering Nord Américain. Vainqueur du CTF Social Engineering 2024 du HackFest 2024 (Canada). Damien Bancal a également été largement reconnu par la presse internationale dont le New York Times, qui souligne non seulement son expertise mais aussi son parcours inspirant. Enfin, il figure parmi les personnalités les plus influentes dans la cybersécurité, comme le souligne Le Big Data, et a été classé parmi les 500 personnalités tech les plus influentes en 2023 selon Tyto PR. 9ème influenceur Cyber d'Europe. Chroniqueur TV et Radio (France Info, M6, RTL, Medi1, Etc.) Réserviste de la Gendarmerie Nationale (Unité Nationale Cyber - réserve volontaire citoyenne) et de l'Éducation Nationale Hauts-de-France. Médaillé de la Défense Nationale (Marine Nationale) et de la médaille des réservistes volontaires de défense et de sécurité intérieure. (Gendarmerie Nationale). Entrepreneur, il a lancé en 2022 la société veillezataz.com.

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